Noémie, pouvez-vous nous partager ce qui vous a poussé à créer Santé du Dirigeant et comment en êtes-vous arrivée à considérer la santé mentale comme un enjeu stratégique en entreprise ?
Pendant plus de 10 ans, j’ai eu le privilège d’accompagner des dirigeants et travailleurs non salariés issus de tous secteurs et de toutes tailles d’entreprise. Ces années sur le terrain m’ont permis d’observer un phénomène préoccupant : le déni massif autour de la santé mentale des dirigeants eux-mêmes. Ce sujet, souvent relégué au second plan, reste tabou, non seulement pour les collaborateurs mais aussi pour les patrons qui sont censés porter l’entreprise à bout de bras.
1. Qui sensibilise les dirigeants à leur propre santé mentale ?
La réalité, c’est que peu de voix s’élèvent pour adresser directement ce sujet auprès des dirigeants. Et pourtant :
- La santé mentale des dirigeants est un pilier de la viabilité et de la longévité de l’entreprise. Un leader épuisé ou en souffrance psychologique voit son jugement altéré, ce qui peut entraîner des décisions coûteuses, tant sur le plan financier qu’humain.
- Lors de mes interventions, j’ai souvent entendu des phrases comme : "Je n’ai pas le droit de craquer" ou "Si je montre une faiblesse, l’entreprise s’effondre." Ce déni alimente un cercle vicieux de stress, d’isolement et de surcharge mentale.
2. Prendre soin des équipes commence par soi-même
Un point fondamental que j’ai constaté est le suivant : il est très difficile d’assurer la bientraitance et la sécurité psychologique des équipes si le dirigeant lui-même ne prend pas soin de sa propre santé mentale.
- L’incarnation est clé : La manière dont un dirigeant gère sa propre santé mentale influence directement la culture de l’entreprise. Si un dirigeant banalise les longues heures, l’épuisement ou l’absence de limites, cela envoie un message implicite aux équipes : "C’est la norme."
- La contagion positive : En revanche, lorsqu’un dirigeant adopte des pratiques saines – comme fixer des limites claires, reconnaître ses vulnérabilités ou encourager le dialogue –, cela inspire les équipes à faire de même.
C'est ce qui m’a poussée à créer Santé du Dirigeant. J’ai vu des entreprises prospérer ou s’effondrer en fonction de la santé psychologique de leur patron. C'est ce constat qui m’a motivée à fonder Santé du Dirigeant, pour briser le silence et accompagner ces hommes et femmes qui portent une responsabilité immense, souvent au détriment de leur propre santé.
La mission était claire : aider les dirigeants à reconnaître que prendre soin d’eux-mêmes n’est pas un acte d’égoïsme, mais un levier pour garantir la performance durable de leur entreprise. Et ensuite, nous mettons en place des processus concrets pour infuser cette approche dans toutes les strates de l’entreprise : pratiques managériales, communication interne, gestion des risques psychosociaux et valorisation de la santé au travail.
Les deux leçons fondamentales que j’ai tirées :
- La sensibilisation est clé. Les dirigeants doivent comprendre que leur santé mentale n’est pas un sujet secondaire, mais une priorité stratégique. Il s’agit de leur rappeler que leur rôle d’exemplarité est central dans la création d’une entreprise saine et pérenne.
- La santé mentale est collective. Une entreprise où les équipes se sentent en sécurité psychologique, où les émotions sont écoutées et où l’épuisement est pris en charge est une entreprise qui innove, retient ses talents et surmonte les crises.
Pourriez-vous expliquer comment vous voyez l'urgence d'agir pour améliorer la santé mentale en entreprise, et quelles conséquences cela a pour les dirigeants ?
Quand une entreprise vacille, c’est souvent la santé du dirigeant qui vacille aussi. Les chiffres d’une enquête récente menée par Choiseul auprès de plus de 650 dirigeants confirment cette réalité et soulignent l’urgence d’agir :
- 75 % des dirigeants ressentent des symptômes de stress au moins une fois par semaine, et 36 % chaque jour.
- 75 % peinent à déléguer, ce qui alimente une surcharge de travail et centralise les décisions à leur niveau.
- 40 % travaillent entre 51 et 60 heures par semaine, une charge amplifiée par la difficulté à se déconnecter, un problème pour 67 %.
- Enfin, 2 dirigeants sur 3 considèrent encore la consultation d’un professionnel de santé mentale comme un tabou.
Ces chiffres ne sont pas seulement des indicateurs, ce sont des alertes. Ils nous rappellent que la santé du dirigeant n’est pas une question individuelle mais une priorité collective. Une entreprise solide repose sur des leaders capables d’assumer leurs responsabilités tout en préservant leur équilibre.
Agir maintenant, c’est investir dans la résilience et la pérennité de son organisation. Cultiver un climat de sécurité psychologique et valoriser la santé mentale, tant pour les dirigeants que pour leurs équipes, est un choix stratégique qui garantit une performance durable et humaine.
Votre ouvrage 'Prenez soin de votre santé mentale… et de celle des autres' est un guide. Quels sont ses points forts pour transformer la santé mentale en levier de performance ?
Mon ouvrage "Prenez soin de votre santé mentale au travail… et de celle des autres" n’est pas un énième livre de développement personnel. Ce n’est pas un recueil de conseils bienveillants à appliquer quand on a le temps ou l’énergie. C’est un cri d’alarme et un manuel d’action. Un essai engagé pour que les entreprises, et surtout leurs dirigeants, arrêtent de colmater les brèches et commencent enfin à changer les choses. Et vite.
1. Ce livre pose une réalité trop souvent ignorée : il n’y a pas de performance sans santé mentale. Pas de salariés productifs, pas d’innovation, pas de vision stratégique, si la base – la santé mentale des équipes et des dirigeants – est fragilisée.
Une entreprise où l’on subit la surcharge mentale, le stress permanent, ou le tabou autour des émotions ne tient pas la route. Elle survit peut-être, mais elle ne prospère pas.
J’explique comment passer d’une culture de l’épuisement silencieux à une culture de la prévention active et collective. C’est radical, et c’est urgent.
2. Ce n’est pas "soit l’humain, soit le résultat" : c’est les deux, ou rien
Beaucoup de dirigeants pensent encore qu’investir dans la santé, c’est un coût ou une faiblesse. Faux. C’est un investissement stratégique.
Dans ce livre, je démontre pourquoi une entreprise en bonne santé repose sur des humains en bonne santé.
Je m’appuie sur des faits et des études récentes : l’absentéisme, le turnover et les erreurs coûteuses explosent là où la santé mentale est négligée. Prendre soin de ses équipes, c’est protéger son capital humain et financier.
3. Une méthode systémique, pas des solutions gadgets
Je ne propose pas une liste de "bonnes pratiques" simplistes. Ce livre ne vous dira pas d’offrir des fruits bio ou des cours de yoga pour "gérer le stress". Non. Il s’agit de repenser en profondeur votre manière de travailler, de manager et de diriger.
Cela commence par vous, dirigeants. Comment voulez-vous incarner la bientraitance et la sécurité psychologique si vous êtes à bout ? Le livre donne des clés concrètes pour prendre soin de vous, tout en intégrant cette logique dans toute l’organisation.
4. Faire bouger les lignes, et vite
Je ne cache pas que ce livre est aussi une provocation. J’y invite les dirigeants à sortir du déni, à arrêter de penser que leur rôle est de "tenir coûte que coûte".
Quand 75 % des dirigeants ressentent du stress chaque semaine et que 2 sur 3 trouvent encore tabou de consulter un professionnel de santé mentale, on comprend que le problème n’est pas un manque d’outils, mais un manque de courage collectif.
Ce livre est une boussole pour aider les leaders à prendre ce courage à deux mains et transformer leur entreprise en lieu de performance humaine.
Comment réalisez-vous vos audits ciblés pour identifier les risques psychosociaux en entreprise, et quels sont les éléments cruciaux auxquels vous prêtez attention ?
Réaliser un audit ciblé sur les risques psychosociaux (RPS) nécessite une approche méthodique, sensible et systémique. Mon objectif est d’identifier non seulement les facteurs de risques évidents, mais aussi ceux qui sont sous-jacents, souvent cachés dans les dynamiques culturelles ou organisationnelles de l’entreprise.
Les éléments cruciaux auxquels je prête attention
1. La charge de travail et les exigences
Les tâches sont-elles clairement définies ? Les équipes disposent-elles des moyens nécessaires pour les accomplir ?
Signaux d’alerte : Débordements chroniques, manque de ressources, ou objectifs perçus comme irréalistes.
2. La reconnaissance et l’équité
Les collaborateurs se sentent-ils valorisés pour leur contribution ? Y a-t-il des écarts dans la reconnaissance ou des traitements inéquitables ?
3. La qualité des relations professionnelles
Quelles sont les dynamiques relationnelles ? Existe-t-il des tensions latentes entre collègues, ou avec la hiérarchie ?
Facteurs amplificateurs : Un management autoritaire ou distant, des conflits non résolus ou des comportements incivils.
4. Les marges de manœuvre et l’autonomie
Les salariés ont-ils la possibilité de décider comment organiser leur travail ?
5. La communication et le soutien
Les flux d’information sont-ils clairs et fluides ? Les salariés se sentent-ils soutenus par leur hiérarchie et leurs collègues ?
6. L’environnement de travail
Les conditions matérielles (espace, bruit, ergonomie) sont-elles propices à la santé au travail?
Et j'ai un focus particulier sur le recrutement et la formation des managers
Un point souvent négligé concerne les critères de recrutement et de promotion des managers. Nombre de managers sont promus pour leur expertise technique, et non pour leurs qualités humaines ou leurs compétences en gestion d’équipe. Or, un manager inapte à gérer l'humain peut rapidement devenir un facteur aggravant des RPS.
Lors des audits, j’analyse les critères de sélection et d’évaluation des managers.
Je recommande des programmes de formation en santé au travail, santé mentale et gestion des RPS, pour qu’ils deviennent des relais de sécurité psychologique et non des amplificateurs de stress.
Quelles stratégies utilisez-vous lors de vos formations sur mesure pour les équipes dirigeantes pour garantir une sécurité psychologique durable ?
Quand j'interviens auprès des équipes dirigeantes, je commence toujours par reconnaître une réalité trop souvent passée sous silence : leur propre santé mentale. Beaucoup de dirigeants et de managers que je rencontre sont pleins de bonne volonté, mais ils sont souvent démunis face à la gestion de l’humain dans leur quotidien.
Le manque de temps, de ressources ou de connaissances spécifiques les place dans une situation délicate : ils veulent bien faire, mais ne savent pas toujours comment. Résultat ? Des managers épuisés, débordés, qui, sans le vouloir, peuvent contribuer à un climat de travail peu sûr.
Vous mentionnez l'importance de sensibiliser les décideurs aux enjeux psychologiques. Comment arrivez-vous à lever les tabous sur la santé mentale au sein des entreprises ?
Pour sensibiliser les décideurs, il faut partir de leur réalité : les chiffres, les risques et les bénéfices pour l’entreprise.
Je mets en lumière les conséquences directes d’un déni autour de la santé mentale : absentéisme, turnover, perte d’efficacité, burn-out collectif et individuel.
Je relie cela à leur propre santé mentale, en les aidant à comprendre que leur rôle central peut devenir un levier positif… ou un facteur aggravant.
Expliquer avec des études : "75 % des dirigeants ressentent des symptômes de stress hebdomadaires, et 67 % peinent à se déconnecter. Ces chiffres ne sont pas anecdotiques, ils reflètent un problème systémique."
Déclic : Quand les dirigeants comprennent que leur propre santé mentale et celle de leurs équipes sont indissociables de la performance globale, ils commencent à écouter autrement.
Pour plus d'informations : https://www.santedudirigeant.fr