Anne-Sophie, qu'est-ce qui a motivé la création de Cancer@Work, et comment cela a-t-il évolué depuis sa fondation?
En 2011, j’ai appris que j’étais atteinte d’un cancer du sein. Je travaillais alors comme consultante en ressources humaines et chasseur de tête. J’ai donc tout de suite informé mon patron, mon équipe et mes clients et je leur ai proposé des solutions de remplacement. C’était une démarche plutôt rare à l’époque, mais je n’ai pas regretté. J’ai reçu énormément d’appels et de messages pendant mon arrêt, ce qui a été un précieux soutien.
Quand j’ai repris mon activité début 2012, plusieurs clients ont sollicité mon aide au sujet de la maladie. Ils voulaient notamment savoir comment accueillir une annonce de cancer ou accompagner le retour au travail d’un collaborateur. J’ai alors cherché des solutions à leur proposer mais je n’ai rien trouvé ni en France, ni ailleurs. C’est là qu’est née l’idée de monter un club d’entreprises autour de cette problématique. Cancer@work compte aujourd’hui 150 entreprises membres qui représentent environ 10 % de la population active.
En 2019, j’ai ensuite lancé la start-up Wecare@work, pour répondre aux besoins plus spécifiques des employeurs. Une façon aussi de montrer que d’anciens malades peuvent créer de la valeur et de l’emploi.
Le Baromètre 2024 de Cancer@Work révèle que 59 % des employés ont du mal à divulguer leur maladie au travail. Selon vous, quels obstacles majeurs confrontent ces employés et comment les entreprises peuvent-elles améliorer cet environnement de divulgation?
Dans une entreprise membre de Cancer@work, il est relativement facile de communiquer sur son état de santé. Ailleurs, peut-être un peu moins. Chacun doit donc trouver en lui-même les réponses aux questions suivantes : ai-je envie d’en parler ? À qui ? Quelles sont les informations que j’ai envie de partager ? Quelles sont les questions que je me pose ? Ai-je envie de garder un lien ? Avec qui ?...
Il n'existe aucune obligation légale de parler de sa maladie à son employeur. Le secret médical prime. Le choix de parler de sa maladie appartient à chacun. Tout est question de contexte et de ressenti.
La seule obligation légale est d’envoyer son arrêt de travail.
Nous ne délivrons pas de conseil tout fait. Toutefois, poser le sujet permet de mobiliser les bons dispositifs dans l'entreprise et certainement de mieux vivre sa maladie au travail.
La majorité des malades qui en ont parlé s'accordent à dire que cela a été bénéfique :
- sur le plan de l'accompagnement
Poser le sujet auprès des bonnes personnes (manager, Rh, médecin du travail, assistante sociale, élus du personnel, référent maladie ...) permet d'avoir accès à la bonne information au bon moment et de mobiliser les dispositifs auxquels le salarié a droit. Demander notamment un entretien avec la Rh permet d'avoir les bonnes informations et de connaître le cadre réglementaire sur l'absence et le retour.
- sur le plan du poste de travail
Parler de sa maladie permet de comprendre et d'anticiper et de réfléchir aux besoins et aux solutions à mettre en place. Organiser une rencontre Rh/service de santé peut être utile pour établir les conditions du travail pour soi, pour son manager, pour ses collègues
- sur le plan personnel
Parler de sa maladie permet de se sentir plus à l'aise sur son lieu de travail.
Du côté des entreprises, s’occuper des actifs malades est un levier de mobilisation important et une source de création de valeur humaine, sociale, sociétale et économique indispensables aux entreprises.
Pouvez-vous partager un exemple concret d'une entreprise ayant mis en place avec succès des stratégies inclusives de soutien pour les employés touchés par le cancer ou des maladies chroniques?
Il n’y a pas de recette toute faite : chaque entreprise est unique et va déployer des actions qui lui sont propres. Nous recommandons aux dirigeants d’annoncer officiellement leur engagement à mieux concilier cancer et travail, notamment en signant la charte Cancer@Work. Nous leur proposons également un outil barométrique pour les aider à définir les besoins de leurs salariés. La plupart des entreprises engagées organisent des sensibilisations, des formations à destination des managers et des services de ressources humaines pour libérer la parole, ou encore proposent des accompagnements psychologiques en cas de décès d’un collègue. Certaines choisissent des mesures spécifiques à leur domaine d’activité. Je citerai l’exemple de cette entreprise industrielle qui a mis en place une chaîne de production sans cadence, permettant aux ouvrières de travailler à un rythme variable et adapté à leur état de santé, ou cette entreprise agricole qui a décidé d’investir dans des machines pour faciliter le travail des salariés dont les gestes sont rendus difficiles par la maladie et les traitements. Les employeurs sont souvent discrets sur ces mesures d’accompagnement. Pourtant les faire connaître génère la confiance des collaborateurs et contribue à libérer la parole. Plus tôt les salariés parlent de leur maladie, plus on a le temps de mettre en place une solution adaptée à leur situation et plus leur maintien ou leur retour dans l’emploi est facile.
En tant que fondatrice de Cancer@Work, comment mesurez-vous l'impact des initiatives prises par les entreprises jusqu'à présent? Quels indicateurs ou métriques utilisez-vous pour évaluer les progrès?
Nous mesurons d'une part les attentes des actifs avec le baromètre national en partenariat avec Opinion Way et, d'autre part, les progrès des entreprises avec le Label Cancer@Work.
Ce Label créé à la demande des entreprises membres répond aux standards nationaux et internationaux de RSE et est intégrable dans les rapports extra financiers des entreprises.
Avec plus de 150 entreprises membre représentant 10% de la main-d'œuvre, comment envisagez-vous d'étendre davantage le Club Cancer@Work et d'engager encore plus d'entreprises dans cette démarche?
Rejoindre Cancer@work permet aux entreprises membres de nourrir très concrètement les engagements sociaux et sociétaux en faisant notamment le lien avec les politiques santé et qualité de vie au travail, les politiques handicap, la politique RSE.
C’est une réponse à leur demande. Par conséquent, ce sont les entreprises qui prennent contact et s'engagent dans l’action avec la volonté d’être motrices sur le sujet.
Quel rôle joue Cancer@Work Village dans le soutien des employés malades, et quelles ressources spécifiques pouvez-vous mettre en avant pour les entreprises cherchant à les intégrer dans leurs politiques de santé au travail?
Cancer@work a pour mission de fédérer des dirigeants d'entreprises (privées, publiques, associations...) et leurs DRH et de les engager dans l'action pour mieux concilier maladies graves, vie professionnelle et performance des organisations.
Nous bâtissons avec chaque entreprise une approche personnalisée avec une méthodologie qui lui permet en fonction de ce qu’elle est, d’investiguer les besoins de ses collaborateurs, d’établir avec eux un plan d’action et puis de le mettre en oeuvre ensuite.
Adhérer à Cancer@work permet d'accéder à des outils (exemple : le baromètre pour mesurer les attentes de salariés ou le Label pour mesurer les progrès des entreprises membres) et à une plateforme de partage entre pairs, avec des temps fort comme le colloque annuel, des ateliers de co-développement, des actions solidaires pour sensibiliser au maintien dans l'emploi des personnes malades comme le challenge sportif ou encore pour agir concrètement en mentorant des personnes malades pour accélérer leur retour à l'emploi avec les job meeting.
Enfin, compte tenu de l'évolution des besoins en matière de soutien au travail pour les personnes atteintes de maladie chronique, quel message principal aimeriez-vous transmettre aux dirigeants d'entreprise pour l'année à venir?
Rejoignez le Club d'entreprises Cancer@Work !